Séance du 9 mai 2015: "Silvia BARON SUPERVIELLE : une œuvre entre deux voix " par Alain MASCAROU
Ce samedi Alain Mascarou nous a présenté sa lecture, son approche de
l'écriture de Silvia Baron Supervielle. Alain Mascarou est né en 1945.
Enseignant, critique, traducteur, il a publié des
textes critiques sur la poésie français contemporaine - Europe, Poezibao-
ainsi que sur des auteurs étrangers de langue française. Il a
traduit du turc divers ouvrages, dont des romans et nouvelles de Bilge
Karasu et Mehmet Yashin.
Il débute la présentation par quelques éléments clefs de la
bio-bibliographie de Silvia Baron Supervielle. Exilée argentine à Paris
en 1961 elle ressent la fracture du "double exil", celui de ces
ancêtres européens venus en Argentine et celui des Argentins
retournés en Europe. Elle publie en français poèmes, traductions,
essais, fictions avec "une prédilection pour les formes
intermédiaires" qui décloisonnent les genres. Seront ainsi cités La Distance du Sable, Granit, 1983, L'Or de l'incertitude, José Corti, 1990, La frontière, José Corti,
1995, La Ligne et l'ombre, Seuil, 1999, Alejandra Pizarnik, Œuvre Poétique, Actes Sud, 2005, Sur le fleuve, Arfuyen, 2013, Lettres à des photographies,
Gallimard, 2013, José Luis Borges, Poèmes d'amour, Gallimard, 2014, Notes sur Thèmes, Galilée, 2014.
Le critique soulignera l'impossibilité ou du moins la difficulté de
la lecture de l’œuvre de Silvia Baron Supervielle en raison de
l'oscillation constante entre les rivages de cette écriture qui
tente de retenir le monde en train de se volatiliser. Les rivages
sont bien sur ceux de ses racines et de son pays d'accueil mais aussi
ceux des deux langues, française et espagnole. Alain
Mascarou souligne l'importance de cet écart fantomatique entre les
deux langues derrière lequel se cache la figure de sa mère. Aussi il met
en évidence l'importance de cette oscillation entre
deux sens qui conduit l'auteur à se traduire elle-même. Ces
auto-traductions deviennent alors des œuvres non pas marginales mais
bien originales car Silvia Baron Supervielle donne au texte
traduit sa propre autonomie:
tout le long/ je perds mémoire/d'un fleuve// et nulle terre/ne garde trace/de mon pas
de largo a largo/el recuerdo de mi río/se desvía// y no hay ribera/ que guarde un rastro/de mi paso
Aussi Alain Mascarou affirme t-il que le véritable pays de Baron
Supervielle est celui de l'écriture qui conduit à de multiples jeux sur
le texte et le métatexte comme dans L'Or de
l'incertitude. Peu à peu, le fragment s'affirme comme forme
tangentielle de cette presque poésie. Ces textes n'en finissent pas de
naître presque poème, presque fiction et cherchent le
passage manquant dans les lettres de l'alphabet. Une écriture de la
mélancolie en découle ainsi qu'une sérénité frémissante qui vient des
terres et visages quittés.
De cette expérience entre retour et recommencement surgit une
cartographie personnelle qui se retrouve dans les blancs de ses poèmes.
Tout palpite d'une présence double qui cherche au travers du
bilinguisme à suppléer les insuffisances de sa propre langue. Cette
peur de la mort du silence qui contient tout - Je crains la mort du silence- la conduit à découvrir le moi
contemplatif d'où émerge l'écriture -j'écris à l'écart de moi- Le poète se dresse alors devant une fenêtre à la frontière du silence et de la langue.
Cette image de la fenêtre pour Alain Mascarou est essentielle dans
la construction du langage poétique de Silvia Baron Supervielle. En
effet la fenêtre permet de voir et de se souvenir - Alain
Mascarou souligne qu'en grec le mot pour désigner ces deux actions
était le même-, d'ouvrir un dialogue avec la réalité intérieure. Se pose
également la question de qui vient à la fenêtre? La
réponse sans conteste est la figure maternelle, disparue alors
qu'elle avait 3 ans et explique ce double balancement entre une langue
d’écriture et une langue maternelle, une langue de la
présence et une langue mythique.
Ainsi apparaît une seconde figure conjointement à la fenêtre, celle
du fleuve - la Seine qu'elle voit depuis sa fenêtre et le Rio de la
Plata-. Le fleuve prend alors une valeur ubiquista
(Borges) et devient un signe migrateur, une intersection entre le
réel et le récit. Le fleuve est le sang qui palpite, qui donne le
rythme, le phrasé. Il charrie la mémoire et conduit vers le
delta, vers la mort. Il permet alors de réunir les fantômes, les
langues, les espaces, les temporalités et permet la métamorphose, la
lecture.
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