vendredi 25 décembre 2015

Séance du Samedi 9 janvier 2016 : « Marguerite Duras. L’illimité d’un imaginaire » par Joëlle PAGÈS-PINDON


 Aliénor

Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft
 par la voix de sa présidente Béatrice Marchal a reçu Joëlle Pingès-Pindon

 lors de sa séance du

Samedi 9 janvier 2016à la Brasserie Lipp 
Joëlle Pagès-Pindon, Béatrice Marchal


 « Marguerite Duras. L’illimité d’un imaginaire »

par

Joëlle PAGÈS-PINDON

Joëlle Pagès-Pindon


Joëlle Pagès-Pindon, Bétrice Marchal, Colette Klein


Le Comité Aliénor


Séance suivante le 13 février 2016 :
« Jean Rousselot, le poète qui n’a pas oublié d’être »
par Christophe DAUPHIN

lundi 14 décembre 2015

Séance du 12 décembre 2015: Le prix ALIENOR 2015 est décerné à Jean-Pierre THUILLAT


Prix Aliénor. Jean-Pierre Thuillat     

Présentation par Béatrice Marchal

Béatrice Marchal

 

                   

 Dans les Ruines (éditions L’Arrière-Pays, 2014)


Nous aurons trop dormi
entre la neige et ses feuillages
là où les oiseaux du matin
se perdent au moindre coup de vent.

Voici venus les temps du soufre. (p. 53)
La  résonance de ces vers après les attentats du 13 novembre n’en confirme pas moins l’importance première du vent : Dans les Ruines est en effet un livre de vent, comme le définissent l’exergue empruntée à Christian Bobin et le beau dessin initial d’Isabelle Raviolo. Oui, un livre fait de vent, si léger que le vent l’emportera sans tarder, semble dire son auteur. Pourtant, dans le poème liminaire, placé en avant des trois parties, Jean-Pierre Thuillat affirme que si, artisan des mots, il n’a pas démérité de son père qui était, lui, artisan du bois, son travail de poète n’en est pas plus noble, n’en a pas plus de valeur pour autant. Sa comparaison du livre avec un meuble fabriqué se poursuit jusqu’à la dernière strophe, « la patine des ans » que l’un et l’autre devront attendre témoignant d’une forme de pérennité. D’emblée se trouve donc posée une interrogation essentielle, celle de la transmission entre les générations humaines, interrogation que vont décliner trois parties successivement intitulées « Marmailles », « Dans les Ruines » et « Mutants » : nos enfants, nos « marmailles » comme on les appelle à La Réunion, sont des « mutants », pourront-ils observer la même fidélité à l’égard de ce dont nous avons hérité ? Et dans un monde où tout est inéluctablement promis à la ruine, à quel avenir nos écrits peuvent-ils prétendre? 
Jean-Pierre Thuillat, Béatrice Marchal, Guy Chaty


La première partie est habitée de multiples enfants : « Marmailles » bien sûr, ces petits-enfants dont la venue n’est pas, malgré certaines ressemblances troublantes, remplacement des « morts qui nous habitent », « ils viennent en plus ».
Mais il y a aussi l’enfant qui survit dans le poète : « Nous délivrerons-nous jamais/de cette enfance… » ; l’acuité et la pureté de ses souvenirs lui permettent de rester fidèle à sa vérité : « il nous importait peu que l’or/fût l’étalon d’un monde adulte », indifférent aux  « vraies tâches dérisoires » de ce dernier.
Si la « barbarie de l’enfance », souvent cruelle, est réelle, elle ne reste en définitive, avec ses guillotines et ses sentiers de guerre « pour rire », que jeux dénués d’hypocrisie, sans enjeux de destruction. 
Jean-Pierre Thuillat

Il ressort de Marmailles que la vie de l’enfant peut ne pas mourir, quand nos souvenirs en gardent la magie, quand, malgré le temps qui « s’étiole » inexorablement, le regard « demeure/ fidèlement aux croisées de l’enfance ». Le malheur lui-même « entrouvre/au fond des yeux d’enfants/ [d]es portes » où l’art saura puiser matière. Assurément c’est dans l’enfant, si vieux soit-il et à quelque époque que ce soit, que subsiste la force de création. « Ce qui existe », nous n’avons chance de l’appréhender que dans un éclair fugitif, « seulement dans les yeux d’enfants/ le matin/ au premier réveil ». Comment s’étonner dès lors que les morts dont nous chérissons la mémoire aient « des visages d’enfants/ bien vivants/ même souriants » ? Comment s’étonner aussi que « ce qui compte/ n’a pas de nom », si ténu et si libre, qu’aucun vocable ne peut le rejoindre ni le réduire.
Jean François Blavin

Omniprésente dans la seconde partie, la nostalgie est d’abord celle de temps médiévaux chers à Jean-Pierre Thuillat, qui la rend d’autant plus poignante qu’il en évoque discrètement les amours enfuies. Cette nostalgie se fait « plainte » quand il déplore l’oubli des troubadours, Bertran de Born, Bernard de Ventadour, et de leur parler « qui avait réveillé les gens d’ici ».
Oui, le temps s’en va, d’où ce cri qui résume la contradiction à laquelle se heurte notre condition : « Précipités dans l’éphémère/nous qui ne vivions/que pour la permanence ! »
Cependant, pour éviter à la nostalgie de devenir pesante, l’humour prend le relais, un humour qui se fait ironie grinçante dans « Mémorial pour le siècle XX » (lire p. 36), et tourne carrément à la farce dans l’évocation d’un Dieu fatigué de sa création et « parti jouer/ailleurs dans l’Univers ».
La prédiction est terrible : « nous nous retrouverons seuls/plus nus que ceux de la Genèse/éperdus de ce vide soudain », le désarroi sera total dans un monde dont nous percevrons « la cruauté d’une mer déchaînée ».
Guy Chaty, Colette Klein, Jean François Blavin

Aussi sommes-nous bien au milieu des « ruines », « dans les ruines », archéologues du passé qui anticipent celles du futur : « Où que nous allions/nous marchons/ sur les décombres de demain ». Sur le plan individuel, c’est la mort qui nous guette, compromettant la tentative de survie : « pour qui écrire/quand partout l’ombre/dissout le visage des roses ? ». Le découragement, plus précisément le désenchantement triomphe : « Nous aurons beau dire et beau faire/ les temps sont abolis du partage et du miel ». Face à « la misère du monde », « les paroles ont un goût d’amer » : le poète se défie d’elles, tenté par le silence et la fuite hors « de ce monde » pour partager le sort des plus déshérités ou vivre jusqu’à la mort son fidèle amour –  « nous serons encore deux »…
Colette Klein

Pourtant, malgré la désespérance évidente, subsistent des lueurs d’espoir : « Ce qui perdure/habite l’invisible ». S’il nous semble user nos forces à cette quête, reconnaissons pourtant qu’en y prenant garde, des signes insistent qui demandent à être déchiffrés, comme l’évoque le beau poème « Spleen du soir ». (Lire p. 40)
Cette désespérance n’occulte ni n’entame un art de vivre qui consiste à se satisfaire des limites du « jardin/de ses pères », à n’accepter aucun luxe, « insulte aux milliards/d’affamés », avec, pour seul trésor, la mémoire et le « désir de comprendre » ; art de vivre lui-même adossé à ce credo : « Seule vérité / le temps/que l’on met/pour grandir ».
Jean-Pierre Thuillat

« Mutants », la troisième et dernière partie, significativement placée sous l’autorité d’Aldous Huxley et de Michel Serres, fait le constat d’une jeunesse radicalement différente, séparée de ses pères par un rapport nouveau à la langue, à l’espace et au temps : « le cri des paroles se perd/dans le brouhaha des images./ Que pourrons-nous vous dire encore/ étranges étrangers nos fils/ si vous avez perdu la clé/ qui conduisait à nos mémoires ?» Jeunesse « pressé[e] de partir », toujours en mouvement, étrangère aux trésors que révèle au poète la patience, mais qui s’en désintéresse au point de sembler les annihiler, d’où ce cri, non exempt de stupéfaction ni de désarroi, où culmine le sentiment désenchanté d’une perte de repères : « Que ce qu’on a cru, n’ait plus cours ! » Le regret du poète d’être incompris par d’ « hypocrites lecteurs » qui refusent de voir en lui « [leur] ombre, [leur] reflet » aimant et compatissant se mue en élégie… avant le sursaut final : « Et pourtant… ». Jusqu’au bout, le poète se battra, le désespoir et la mort n’auront pas le dernier mot : « Vos tempêtes, je les apaise d’un soupir et je refais surface à la barbe des dieux ». 
 
En dépit de constats négatifs qu’il dresse, tout au long du recueil, avec lucidité, le poète Jean-Pierre Thuillat ne renonce pas. Sa poésie, tout en finesse, qu’il définit lui-même comme essentiellement intuitive, n’en confirme pas moins son recueil comme un livre de vent, parce que cet élément, qui le hante, n’est pas à ses yeux facteur d’une absolue dépossession : « Apprivoiser le vent/demeure notre espérance » ; le vent peut s’avérer une aide à qui tente, en « recueill[ant] les mots/des morts », de retenir la richesse de notre présent, afin d’y raviver les lumières du présent qui fut le leur. Si fortes que soient les apparences incitant au découragement, le poète poursuivra ses efforts et maintiendra son cap, car ce qui seul importe, c’est que, envers et contre tout, « au-delà du naufrage perdure un fragment de parole » !